Notice Teverino est une pure fantaisie dont chaque lecteur peut tirer la conclusion qu'il lui plaira. Je l'ai commenc e Paris, en 1845, et termin e la campagne, sans aucun plan, sans aucun but que celui de peindre un caract re original, une destin e bizarre, qui peuvent para tre invraisemblables aux gens de haute condition, mais qui sont bien connus de quiconque a v cu avec des artistes de toutes les classes. Ces natures admirablement dou es, qui ne savent ou ne veulent pas tirer parti de leurs riches facult s dans la soci t officielle, ne sont point rares, et cette ind pendance, cette paresse, ce d sint ressement exag r s, sont m me la tendance propre aux gens trop favoris s de la nature. Les sp cialit s ouvrent et suivent avec acharnement la route exclusive qui leur convient. Il est des sup riorit s tout fait oppos es, qui, se sentant galement capables de tous les d veloppements, n'en poursuivent et n'en saisissent aucun. Ce que je me suis cru le droit de po tiser un peu dans Teverino, c'est l'excessive d licatesse des sentiments et la candeur de l' me aux prises avec les exp dients de la mis re. Il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre les paradoxes qui s duisent l'imagination de ce personnage, et croire que l'auteur a t assez p dant pour vouloir prouver que la perfection de l' me est dans une libert qui va jusqu'au d sordre. La fantaisie ne peut rien prouver, et l'artiste qui se livre une fantaisie pure ne doit pr tendre rien de semblable. Est-il donc n cessaire, avant de parler l'imagination du lecteur, par un ouvrage d'imagination, de lui dire que certain type exceptionnel n'est pas un mod le qu'on lui propose ? ce serait le supposer trop na f, et il faudrait plut t conseiller ce lecteur de ne jamais lire de romans, car toute lecture de ce genre est pernicieuse quiconque n'a rien d'arr t dans le jugement ou dans la conscience. On m'a reproch de peindre tant t des caract res dangereux, tant t des caract res impossibles imiter; dans les deux cas j'ai prouv apparemment que j'avais trop d'estime pour mes lecteurs. Qu'au lieu de s'en indigner ils la m ritent. Voil ce que je puis leur r pondre de mieux. Je ne d fendrai ici que la possibilit , je ne dis pas la vraisemblance du caract re de Teverino: cette possibilit , beaucoup de gens pourraient se l'attester eux-m mes en consultant leurs propres souvenirs. Beaucoup de gens ont connu une esp ce de Teverino m le ou femelle dans le cours de leur vie. Il est vrai qu'en revanche, pour un de ces tres privil gi s qui restent grands dans la vie de boh mien, il en est cent autres qui y contractent des vices incurables; cette classe d'aventuriers est nombreuse dans la carri re des arts. Elle se d grade plus souvent qu'elle ne s' l ve; mais les individus peuvent toujours s' lever, et m me se relever quand ils ont du coeur et de l'intelligence. Cela, je le crois fermement pour tous les tres humains, pour tous les garements, pour tous les malheurs, et dans toutes les conditions de la vie. Il est bon de le leur dire, et c'est pour cela qu'il est bon d'y croire. Je ne m'en ferai donc jamais faute. George Sand.